L’Oréal, Ipsos et France Travail, utilisateurs convaincus, mais méthodiques de l’IA
L’intelligence artificielle se déploie, mais sans magie. L’Oréal, Ipsos et France Travail témoignent de leur méthode et de leurs bonnes pratiques pour favoriser l’adoption par leurs collaborateurs.
L’effervescence autour de l’IA ne retombe pas. Au contraire, la tenue à Paris d’un sommet mondial consacré à son développement le prouve. L’événement a poursuivi plusieurs objectifs, comme a pu le souligner en amont Guillaume Avrin le 5 février à l’occasion d’une table ronde organisée par Syntec Conseil, l’organisation professionnelle des métiers du conseil.
Changer le narratif autour de la transformation par l’IA
Rattaché à la DGE (Direction Générale des Entreprises) et coordonnateur de la stratégie nationale pour l’IA, Guillaume Avrin insiste sur le « pouvoir de transformation » de cette technologie. Un pouvoir qui s’applique donc à notre économie, à la société, à la culture, et aussi à la diplomatie.
Mais les transformations peuvent susciter des appréhensions. Le coordonnateur considère donc que l’AI Summit vise à « changer le narratif autour de cette transformation » par les algorithmes. Des craintes s’expriment parmi une majorité de Français, notamment quant à son impact sur l’emploi. Pour faire évoluer la perception, il convient dès lors pour le M. Avrin de mettre aussi en avant les bénéfices.
Comment ? Par des démonstrations d’applications de l’IA pour l’intérêt public, dans la santé ou dans le champ de la lutte contre le changement climatique. « Bienfaits et apports » de l’IA ne doivent pas être oubliés […] au risque, sinon, de rater l’opportunité de cette technologie. »
Guillaume Avrin voit aussi le Sommet comme l’occasion d’affirmer que « l’IA n’appartient pas à une poignée d’acteurs américains et chinois » et ainsi de faire entendre la voix de la France et de l’Europe – mais aussi « du reste du monde. »
Task-force GenAI et formation pour tous chez L’Oréal
Mais quid de la réalité des usages dans les entreprises ? Lors de ses vœux, Véronique Torner de Numeum citait les ambitions de l’Union européenne : 75 % d’entreprises utilisatrices de l’IA d’ici 2030. En 2023, cette part était tout juste de 6 % en France. Les grandes organisations, mieux dotées en capitaux, se situent au-dessus de la moyenne française.
Des entreprises ont justement témoigné de l’avancement de leur adoption lors de la table ronde de Syntec Conseil, sans s’étendre cependant sur le ROI des projets, toujours complexes à mesurer.
L’adoption, c’est maintenant. Pour les gains, il faudra patienter. Pour autant, chez Ipsos, L’Oréal et France Travail, ces technologies répondent bien à des besoins, affirme-t-on.
Isabelle Guyony-Hovasse, directrice du développement de l’organisation chez L’Oréal (et responsable de la task-force GenAI), revendique d’ores et déjà de la valeur. Et cette valeur n’a pas attendu le lancement de ChatGPT fin 2022.
« L’intelligence artificielle est au cœur de notre transformation depuis plusieurs années », avec par exemple son intégration dans des outils collaborateurs, au marketing, au développement ou dans des produits consommateurs.
Depuis 18 mois, un groupe de travail pluridisciplinaire au sein de la multinationale des cosmétiques planche à la définition de cas d’usage spécifiques de l’IA générative, mais aussi à la mise en œuvre d’actions pour en favoriser l’adoption. Un plan de formation de l’ensemble des collaborateurs (avec un module d’e-learning) a été déployé.
De même, le groupe a défini un « cadre responsable » et de confiance pour la conduite des expérimentations. C’est dans ce contexte que L’Oréal a fait en sorte de s’assurer « de concentrer ses énergies » sur « des cas d’usage stratégiques à fort potentiel de valeur pour le groupe. »
Le résultat, ce sont trois axes (ou familles) d’applications : l’IA au service de la R&D, le marketing & produit augmentés, et le collaborateur augmenté via le déploiement de L’Oréal GPT. L’assistant – un projet classique en GenAI – est appréhendé comme un démonstrateur de l’apport de l’IA au quotidien et comme un levier d’acculturation du plus grand nombre.
Isabelle Guyony-Hovasse revendique un franc succès dans ce domaine avec plus de 60 000 employés ayant déjà utilisé le GPT interne et 32 000 utilisateurs hebdomadaires. « Nous n’attendions pas autant de succès », commente-t-elle.
Ce bilan, elle l’explique en particulier par la formation de tous et une focalisation sur « quelques cas d’usage », évitant de laisser des collaborateurs livrés à eux-mêmes et peinant à identifier des tâches pertinentes pour un tel outil.
En parallèle, pour chacun des cas d’usage de la GenAI priorisés, L’Oréal pilote des plans d’accompagnement du changement.
30 cas d’usage de l’IA chez France Travail ont préparé le terrain
Chez France Travail (ex-Pôle Emploi), des projets IA lancés depuis 10 ans (une trentaine de cas d’usage en production) ont permis de préparer le terrain à l’adoption de la GenAI. « Cela nous a permis de faire un départ lancé sur l’IA générative », confirme Aurélien Fenard, directeur de la transformation digitale et des données RH.
Comme L’Oréal, l’agence a identifié trois « grandes catégories » d’applications : la productivité interne avec un ChatGPT maison, l’aide à certaines fonctions – notamment support, dont l’analyse de textes juridiques avec un RAG – et enfin la manipulation de grands volumes de données pour les agents sur le terrain (en commençant par le matching).
« L’IA vient nous aider à comprendre les compétences – qui ne sont pas forcément bien décrites dans un CV – et à faire le matching, d’une manière à la fois plus naturelle et plus simple. »
Aurélien FenardDirecteur de la transformation digitale et des données RH, France Travail
Le dernier domaine « constitue le cœur de métier » de France Travail, c’est-à-dire le rapprochement des offres et des demandeurs d’emploi. « L’IA vient nous aider à comprendre les compétences – qui ne sont pas forcément bien décrites dans un CV – et à faire le matching, d’une manière à la fois plus naturelle et plus simple », détaille Aurélien Fenard.
La concrétisation de cette approche, c’est aujourd’hui le service Match FT, présenté le 4 février à trois ministres et en présence du CEO de Mistral AI, Arthur Mensch. La technologie de la startup étant utilisée dans cette application « quasiment à 100 %. »
France Travail prévoit de s’appuyer sur l’expertise de la licorne pour procéder à du fine-tuning de modèle. Le représentant de l’agence signale cependant que d’autres fournisseurs sont sollicités pour les projets GenAI et IA.
Aurélien Fenard précise que l’organisation dispose « d’une plateforme agnostique » à laquelle peuvent être connectés différents modèles et LLM « en fonction des besoins, des cas d’usage, de la puissance, du nombre de connexions, etc. »
Pour favoriser l’adoption, il rappelle que France Travail en est à son deuxième programme IA. « C’est un domaine qui est maîtrisé et dans la maison depuis un certain temps », grâce notamment à une usine de fabrication digitale interne et à un comité éthique IA. L’internalisation des projets contribuerait également à l’acceptation et à la création « d’un cadre de confiance. »
Pour accompagner le mouvement en interne, France Travail déploie également des mesures de sensibilisation et des ateliers pratiques, dont des IA afterworks. « Nous avons un très bon taux d’adoption de notre LLM interne. Cela devient véritablement un outil quotidien », se félicite l’expert, sans préciser la valeur exacte du taux d’usage actuel.
Facto, la plateforme IA aux 14 modèles d’Ipsos
Ipsos, le spécialiste des études de marché et d’opinions, tire lui aussi un bilan positif de sa démarche en intelligence artificielle. L’institut a développé une plateforme propriétaire « agnostique et sécurisée » pour ses usages. Son nom : « Ipsos Facto ».
Derrière Facto sont exploités « plus de 14 modèles », ce qui permet « de choisir le bon en fonction du cas d’usage », explique Mathilde Guinaudeau, head of the social intelligence & analytics expertise. Ouverte aux 22 000 salariés dans le monde d’Ipsos, l’entreprise revendique un taux d’adoption de 81 %.
Sur la base d’une enquête de satisfaction interne, 71 % de collaborateurs déclarent que Facto a eu un impact positif sur leur quotidien. La plateforme cible l’interne, mais Ipsos a aussi intégré de l’IA à certaines de ses offres client. La finalité : « aller au-delà de ce que nous proposions ».
Pour Mathilde Guinaudeau, les résultats enregistrés dans l’entreprise sont (en partie) à l’opposé des craintes exprimées par l’opinion dans les études. Selon elle, l’utilisation réelle constitue la meilleure réponse à apporter aux peurs. « Une fois qu’on a les mains dedans, on trouve que c’est formidable », témoigne-t-elle.
Le taux d’adoption n’atteint cependant pas 100 %. Une analyse détaillée permet de constater un écart générationnel. Les plus appétents sont les plus jeunes collaborateurs, l’usage déclinant avec l’âge. Pour les acteurs de la table ronde du Syntec, il ne s’agit cependant pas d’une fatalité. Cela traduirait avant tout un besoin d’accompagnement.
Reverse mentoring et « IA champions », clés de l’adoption
Pour Axelle Paquer de BearingPoint, le recours au « reverse mentoring » (des juniors qui forment des seniors) permet de lever des freins. Mathilde Guinaudeau d’Ipsos insiste quant à elle sur les mérites des « GenAI Champions », des ambassadeurs choisis dans les métiers pour évangéliser.
Les membres de cette communauté se réunissent tous les jeudis pour partager durant 30 minutes. Et attention aux profils des champions. « Nous n’avons pas pris que des geeks. Il y en a dans l’entreprise, mais ce n’est pas eux que nous avons choisis pour aller fédérer les équipes. »
« Nous n’avons pas pris que des geeks. Il y en a dans l’entreprise, mais ce n’est pas eux que nous avons choisis pour aller fédérer les équipes. »
Mathilde Guinaudeau, head of the Social Intelligence & Analytics Expertise, Ipsos
Un dispositif de type « AI Afterwork » d’une demi-heure consacré à la présentation d’applications concrètes de l’IA s’ajoute aux ambassadeurs. Les rendez-vous sont l’occasion « de démontrer un cas » et d’expliquer son fonctionnement. « Et cela, ça change tout dans l’adoption, notamment auprès des plus réticents ».
Aurélien Fenard de France Travail confirme. L’organisation de sessions consacrées à la manipulation des outils et à l’inspiration est essentielle à la diffusion des usages. « Il faut mettre les mains dedans », recommande-t-il comme Mathilde Guinaudeau.
Mais quand des applications ne répondent pas aux besoins, il convient aussi de les répertorier. L’agence pour l’emploi dispose de sa « bibliothèque de fails », c’est-à-dire d’échecs. Un moyen de s’épargner des efforts lorsque des idées déjà envisagées et écartées reviennent dans les circuits de décision.
Bruno Maillot, directeur Practice AI for Business de Sopra Steria Next, souligne enfin l’importance de l’UX et de l’UI (expérience utilisateur et interface utilisateur) en matière d’adoption. Nombre de GPT privés s’inspirent ainsi directement du fonctionnement des outils grand public. « C’est basique, mais c’est encore cela qui fonctionne le mieux sur l’adhésion. »
Pour approfondir sur IA appliquée, GenAI, IA infusée