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Oracle : une IA pour ne pas sauter sous le train
En détectant les conduites suicidaires et les personnes ivres grâce à l’analyse de vidéos, un projet du Métro de Londres avec Oracle veut prévenir les accidents. Il est issu d’un PoC avec NTT dans un tout autre contexte.
Un homme titube sur le quai du métro. Il est saoul. Il avance en zigzaguant, se cogne contre une des rares voyageuses encore présentes à cette heure avancée de la nuit, puis rebondit en avançant dangereusement vers le bord du quai. Il se ressaisit. Tant bien que mal. Il regarde fixement les rails. Il tient difficilement sur ses jambes. Un train arrive. Le battement métallique des roues résonne dans le tunnel. Le visage de l’homme semble triste, son regard perdu, comme ailleurs, dans une autre vie.
L’homme va-t-il perdre l’équilibre ? Se jeter ? Reculer ? Le train apparaît dans la bouche du tunnel. Le conducteur voit l’homme sur le rebord du quai. Quoi qu’il fasse, il est déjà trop tard.
Cette histoire n’est pas isolée. Nombreux sont les conducteurs de métro qui vous diront que leur pire cauchemar est de voir une personne dépressive se suicider ou une personne ivre tomber sous leurs roues.
Une des solutions pour éviter ces « accidents graves de voyageurs » est de mettre des barrières. Une autre, plus technologique, serait de pouvoir détecter en temps réel, sur le quai, les signes (tituber, larmes, cris, gestes agressifs, etc.) d’un comportement suicidaire ou aviné – ou les deux – avec les images de surveillance et du prédictif pour déclencher automatiquement une demande d’intervention, ou en cas de risque trop élevé d’accident, d’interrompre la circulation des trains.
Ce scénario relevait de la pure science-fiction il y a encore cinq ans. Il est aujourd’hui réellement testé (en PoC) dans le métro londonien.
Une île japonaise
Ce projet trouve pourtant son origine bien loin du Royaume-Uni, à l’autre bout de la planète ; sur une petite île japonaise très exactement.
Cette île a une particularité : sa population locale est très âgée, en tout cas plus que la moyenne.
Le point positif est que l’espérance de vie y est donc beaucoup plus élevée qu’ailleurs. Le point négatif est que les chutes et les cas de dégénérescence neuronale ont plus de probabilité d’y survenir.
Début 2019, le telco nippon – NTT – et son partenaire Oracle (avec qui il collabore depuis une dizaine d’années sur des projets de co-innovation) ont alors l’idée d’utiliser les technologies modernes à base d’Intelligence Artificielle et de reconnaissance vidéo (Computer Vision) pour détecter et anticiper ces problèmes.
Ce n’est certainement pas le plus grand projet ou le plus lucratif qu’a mené Neil Sholay, le Monsieur Innovation d’Oracle, mais – confie-t-il au MagIT – il s’agit sans aucun doute d’un de ceux qui lui tient le plus à cœur et qui a pour lui le plus de sens.
« Nous utilisons l’Intelligence Artificielle pour analyser les images des caméras [N.D.R. : publiques et privées quand les personnes l’accepteront] pour détecter des manifestations précoces de démences ou alerter en cas de chutes », explique-t-il au MagIT. « Il s’agit de caméras domestiques, du type de celles que l’on trouve dans les maisons (comme la NEST) et de caméras installées dans des lieux publics qui appartiennent aux autorités locales ou qui sont entretenues par elles ».
Le projet japonais en est encore à ses débuts. Pas question pour l’instant de faire de l’analyse temps réel sur les flux de directs des caméras. La détection de comportement se fait encore « hors ligne » et n’a donc pas encore d’intérêt pour avertir en cas de chute d’une personne âgée. Mais l’idée à moyen terme semble bien d’aller vers cette application temps réel également. « C’est en cours de test », confirme Neil Sholay.
Quant aux algorithmes, ils ont été entraînés en amont « sur des données historiques de patients, combinées aux données auxquelles NTT avait accès. Des données anonymisées, bien sûr », insiste bien le responsable du projet côté Oracle.
Déclinaison à Londres
Retour dans la pluvieuse Angleterre, où les pubs sont un des lieux les plus populaires pour se protéger des averses en buvant quelques verres. L’idée qui a germé à Tokyo essaime à Londres. Non pas pour détecter la démence – la population y est plus jeune – mais pour prévenir les chutes, les suicides, et les accidents liés à l’alcool.
« Le projet pilote [N.D.R. : décliné de celui du Japon] est en cours », confie Neil Sholay, « les prochaines étapes consistent à évaluer les résultats ».
D’autres applications, toujours inspirées de celle de l’île japonaise, sont dans les tuyaux. « Le concept est actuellement testé dans divers secteurs et différents lieux », conclut le Monsieur Innovation d’Oracle.
Il n’en dira pas plus, ni sur ces secteurs ni sur ces lieux. Mais si un jour, après le confinement, à Londres, vous entendez un message qui tance un passager du métro sur son alcoolémie ou qui l’invite plus doucement à reculer du « gap », vous saurez que quelque part, il y a un Oracle qui veille sur lui.