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L’Open Source vit une période de « renaissance » selon Michael Howard (MariaDB)

Dans cet entretien réalisé à Paris, Michael Howard donne sa vision de la « renaissance de l’open source » provoquée par les géants du cloud tout en rappelant son peu d’estime pour certaines de leurs pratiques.

Depuis près de 10 ans, MariaDB a su se faire une place de choix sur le marché du système de base de données relationnelle. L’éditeur d’une fork de MySQL poursuit son développement en brandissant fièrement son étiquette open source. Michael Howard, PDG de MariaDB, vante les 185 000 contributions aux projets rassemblés dans la fondation éponyme. Il évoque également 1000 clients utilisateurs de la version entreprise du SGBDR. Parmi eux, il compte les Français Criteo, Gemalto, Humanis, BNP Paribas, Blablacar, Amundi ou encore Lactalis.

La pertinence de cette technologie se mesure à l’aune des solutions concurrentes et des types de cas d’usage. Michael Howard réagit ainsi à l’actualité d’Amazon qui a achevé la migration de 7 500 bases Oracle vers Aurora, RDS ou encore DynamoDB. Une publicité révélatrice d’une certaine « peur d’Oracle », selon lui.

Michael Howard, PDG de MariaDBMichael Howard -
PDG de MariaDB

Cet entretien est également l’occasion de revenir sur les dernières nouveautés de MariaDB alignées au sein d’une stratégie reposant sur la « renaissance de l’open source ». Enfin, les acteurs ont trouvé un modèle économique rentable pour les technologies ouvertes. Celui-ci repose sans véritable surprise sur l’accessibilité du cloud. Michael Howard et son entreprise se dirigent alors tout de go vers le nuage en misant sur la containerisation de son SGBDR à l’aide de Kubernetes.

Dans ce contexte, faut-il ou non rejoindre une plus grosse fondation que celle tenue par l’éditeur ? À cette question, M. Howard n’a pas encore trouvé la solution qui lui convient totalement.

AWS, vous n’avez pas les bases [de données], dit en substance Michael Howard

LeMagIT : Qu’est-ce que vous pensez du fait qu’Amazon ait annoncé la fin de l’utilisation des bases de données Oracle ?

Michael Howard : [temps de réflexion] Je pense que c’est une annonce sans importance parce que c’est politique et très complaisant. Amazon veut prouver qu’il n’a pas besoin d’Oracle et Oracle affirme le contraire. Le géant du e-commerce pense qu’il peut vivre sans son concurrent et utiliser ses propres technologies, mais les clients de ce dernier utilisent des systèmes ERP qui ne fonctionnent pas sur AWS.

Nous-mêmes, nous n'entrons pas et ne disons pas d'exécuter votre ERP sur MariaDB. Je veux dire, c'est une déclaration un peu stupide. Vous savez que vous utilisez les ERP SAP ou Oracle. Prenez l’exemple d’une entreprise qui veut lancer des charges de travail critiques sur RDS. Elle devra surmonter beaucoup de défis pour cela. Donc je pense que cette déclaration n’est qu’un coup de publicité et c’est de bonne guerre, mais pour moi cela montre qu’ils ont constamment peur d’Oracle.

LeMagIT : Pensez-vous que la stratégie d’AWS reposant sur plusieurs bases de données est la bonne ?

Michael Howard : Venant de chez Oracle [Michael Howard fut vice-président Data Warehousing et technologies d’intégration chez Oracle entre 1996 et 2000 N.D.L.R.], je dirais que non. Chez MariaDB, nous avons une liste de moteurs de bases de données qui peuvent gérer différents workloads : analytiques, transactionnels, IoT, etc. mais vous utilisez toujours le même front end, vous n’avez pas à apprendre à utiliser une nouvelle base. Comme Oracle, nous essayons de faire de MariaDB la plateforme la plus adaptée aux besoins des utilisateurs.

Rappelez-vous qu’AWS n’a pas développé MariaDB, MySQL, PostgreSQL, Oracle et n’a même pas construit Aurora. Mon groupe a mis au point MySQL, MariaDB et une grande partie de ce qu’est Aurora aujourd’hui. La communauté Postgres a construit son produit, n’est-ce pas ? Pour moi, c’est un autre signe de faiblesse [de la part d'AWS N.D.L.R.]. Ils ne peuvent pas faire grand-chose avec ces data bases existantes parce qu’ils n’ont pas l’expertise pour le faire, donc ils en construisent d’autres pour concurrencer MongoDB, Elastic Search, etc.

C’est comme un petit garçon essayant de prouver à son père qu’il en est capable, mais il reste un enfant. Cette stratégie multi-base de données, je ne la trouve pas pertinente. […] Je peux comprendre qu’une organisation emploie MongoDB et MariaDB, par exemple. Il y avait une statistique qui circulait comme quoi, les entreprises utilisaient 2,7 bases de données. Je ne sais pas d’où vient vraiment ce chiffre, mais elles ont souvent plus d’une base de données, et elles essayent de ne pas en avoir 15. […] Je pense qu’on revient en arrière avec AWS, c’est mon opinion personnelle.

LeMagIT : donc MariaDB peut s’adapter à tous les cas d’usage grâce aux moteurs de base de données ?

Michael Howard : Je pense que certaines bases de données sont plus adaptées à certaines tâches. Si vous prenez l’exemple du machine learning, je pense que notre produit est plutôt bon, mais les entreprises vont de préférence utiliser quelque chose comme un système Hadoop. Une fois qu’ils ont réalisé l’entraînement et le déploiement des algorithmes, elles vont extraire les données vers une base MariaDB pour les analyser.

Nous n’avons donc pas la technologie la plus adaptée au machine learning, mais je vois notre solution comme l’une des meilleures bases de données pour le cloud hybride, le transactionnel et l’analytique sur le marché aujourd’hui grâce à nos moteurs de base de données. Mais je considère qu’il y a une raison à conserver Hadoop pour faire du machine learning sur des informations non structurées. Une fois que vous voulez lancer les modèles en production, vous avez besoin de mettre les données dans une base comme MariaDB.

LeMagIT : En juin dernier, vous avez déployé une mise à jour principalement consacrée à la sécurité et l’efficacité de MariaDB. Quelle était la stratégie sous-jacente ?

Michael Howard : Le but était de faire de notre version Entreprise une solution haut de gamme sur le marché en renforçant la sécurité, en ajoutant un plugin d’audit et un meilleur niveau d’assurance qualité. Nous avons finalement retiré quelques fonctionnalités qui étaient plus adaptées à la communauté et moins aux entreprises. C’est très important parce que MariaDB a grandi à l’aide d’une communauté principalement composée de petites et moyennes entreprises. Cependant, en raison de son succès actuel, notre service est utilisé pour gérer des workloads à grande échelle associés à des applications critiques. Nous devions répondre à cette demande avec la version Enterprise Server 10.4.

LeMagIT : Vos clients, veulent-ils vraiment utiliser MariaDB pour gérer des missions critiques ?

Michael Howard : Oui, cela fut un peu surprenant au départ pour moi et MariaDB parce que quand j’ai rejoint la société en 2016, je pensais que notre solution était plus adaptée à certains départements des grands groupes. Surtout quand vous proposez un système open source, fondé sur une approche ascendante qui part d’un développeur qui développe une application, puis la technologie a petit à petit un effet viral.

Mais il y a un certain nombre de très grosses entreprises qui ont pris une décision intellectuelle et stratégique en mettant MariaDB et au centre de leur système de base de données. C’est juste fascinant comment cela a changé. Oracle était et est encore au centre de cet univers, mais nous nous faisons très rapidement une place de choix.

Par ailleurs, nous avons déclaré publiquement que nous développons SkySQL, une version contenairisée Kubernetes de notre SGBDR qui permettra aux entreprises de gérer leurs workloads les plus importants dans le cloud, plus simplement. Nous sommes en phase bêta et nous annoncerons prochainement la disponibilité générale.

La renaissance de l’Open source grâce à un modèle économique rentable

LeMagIT : Vous avez les deux pieds dans le monde de l’Open Source. Comment percevez-vous l’évolution de ce milieu ? Que pensez-vous de l’attitude des fournisseurs ?

Michael Howard : Je discutais avec un de mes amis, Peter Levine, le directeur général d’Andreesen Horowitz [un fonds d’investissement fondé par deux anciens de Netscape N.D.L.R.]. Il croit que l’open source connaît une période de renaissance et je suis d’accord avec lui. La raison de ce phénomène est, ironiquement, dû à Amazon et un peu à Microsoft et Google. Dans une certaine mesure, ils prennent et ne rendent pas à la communauté open source.

Donc, AWS mettra MariaDB sur RDS, mais il ne rendra pas la pareille, et c’est un peu la même chose avec Microsoft. Cependant, la bonne nouvelle, c’est qu’ils ont fait du cloud une infrastructure si pratique, ils ont adopté des modèles économiques très accessibles. Et maintenant qu’il est devenu plus convivial et populaire, les vendeurs spécialisés comme MariaDB vont construire leur propre RDS dans le cloud qui aura de la profondeur, un niveau d’expertise et de qualité sur lesquelles les plus grands ne peuvent pas se concentrer. Cette renaissance parfois appelée Open Source 2.0 passe par le déblocage de la valeur économique à travers le cloud parce qu’auparavant, la plupart des acteurs offraient seulement du support et c’est tout.

Je peux proposer mes services pour MariaDB sur les infrastructures d’Amazon, de Microsoft et d’Alibaba ou Google et facturer le même montant qu’ils facturent. Ces acteurs gagnent de l’argent parce que j’utilise leurs infrastructures. Je gagne de l’argent parce que je supporte mon produit de manière plus enrichissante et tout le monde est content. C’est donc la première fois dans l’histoire – et je ne veux trop en faire, mais c’est vrai – que l’open source dispose d’un modèle économique rentable. Cela aurait été très difficile de le faire nous-mêmes. Amazon l’a fait pour nous ! Ils ont volé nos produits, mais ils ont lancé le mouvement.

C’est un grand moment pour les investisseurs. C’est également la première fois que les fonds de la Silicon Valley voient la lumière au bout du tunnel parce qu’enfin, il y a un modèle économique pertinent.

Les fondations parfois source de conflits entre contributeurs

LeMagIT : Pourquoi avoir conservé votre propre fondation et ne pas vous rapprocher des structures plus importantes ?

Michael Howard : Pour moi, quand je regarde ces grandes fondations, le problème que j'ai, c'est qu'elles sont trop grandes et trop compliquées à comprendre. Ce qui se passe chez nous est plus simple : vous allez à la fondation MariaDB, au moins on parle d'un sujet : les serveurs MariaDB. Vous savez où se trouvent le référentiel, vous savez comment entrer en contact avec les responsables qui s’en occupent.

Nous facilitons très clairement les contributions. Depuis 2014, MariaDB a bénéficié de 185 000 participations. MySQL, au total, en a reçu 145 000 alors que la technologie est deux fois plus âgée. Postgres en a 45 000 environ. Nous avons l’une des communautés les plus actives dans le monde. Mais disposer de notre propre structure nous rend différent. Il y a des avantages et des inconvénients.

J’ai pensé à déplacer la fondation MariaDB dans l’une des autres [plus importantes à l'instar de la fondation Linux N.D.L.R.]. J’y ai pensé. Et j’avance d’un pas et je recule de deux. Les grandes organisations indépendantes semblent plus professionnelles et comme nous avons la nôtre en notre nom [la fondation MariaDB N.D.L.R.], elle n’apparaît pas comme quelque chose d’aussi sérieux. C’est ce qui me dérange actuellement.

LeMagIT : Connaissez-vous des conflits d’intérêts entre les projets nés des contributions comme on peut le voir dans certaines organisations ?

Michael Howard : Oui, c’est un problème. Nous l’avons aussi. Mettons que deux entreprises viennent nous voir avec la même idée, elles y répondent juste différemment. Cela arrive, même dans notre monde. Nous devons choisir la meilleure solution ou la réécrire. Nous disons « D’accord, merci. Nous prenons en compte votre participation et nous recodons la fonctionnalité sous votre supervision ». Il y a beaucoup de part d’ego dans le fait de contribuer.

 

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