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Les jumeaux numériques hybrides, l’avenir de la simulation selon ESI Group

Fondé en 1973, le groupe ESI est un éditeur français spécialisé dans le prototypage et la simulation 3D. D’abord lancée sur la modélisation physique, l’entreprise mêle de plus en plus cette approche avec des algorithmes de machine learning et entend développer ses solutions de jumeaux numériques hybrides.

« Le cœur de métier d’ESI, c’est la simulation de chocs automobiles », rappelle Emmanuel Leroy Executive Vice President, Industry Solutions chez ESI Group.

Sa filiale allemande a notamment réalisé la première simulation de crash test en collaboration avec Volkswagen en 1985. Le logiciel PAM-CRASH qui en découle est utilisé pour préparer les certifications Euro NCAP. De pionnier, ESI est devenu un des leaders de son marché, la simulation et le prototypage virtuel.

« La grosse force d’ESI, c’est la prédiction numérique avec pour vocation de remplacer un maximum de prototypes physiques par des équivalents virtuels », vante Emmanuel Leroy.

 L’entreprise française est présente dans plus de 40 pays et compte plus de 1 200 employés. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 140 millions d’euros en 2019 (132,6 millions en 2020). ESI génère environ 60 % de ses revenus auprès de la filière automobile. Le groupe Volkswagen (pour les marques Volkswagen et Bentley, par exemple), Renault-Nissan, PSA, Faurecia, Audi, Ford, Fiat-Chrysler ou encore Dongfeng font partie de ses clients d’envergure.

« La grosse force d’ESI, c’est la prédiction numérique avec pour vocation de remplacer un maximum de prototypes physiques par des équivalents virtuels. »
Emmanuel LeroyVP Industry Solutions, ESI Group

En premier lieu, il s’agit pour les constructeurs automobiles de réduire le nombre de voitures à démolir pour atteindre les cinq étoiles de la certification Euro NCAP, synonyme d’économies en fin d’élaboration des véhicules.

Il est également présent dans les secteurs de l’aérospatial et de la défense, l’énergie et les machines industrielles.

Outre la simulation de crash, ESI Group a développé toute une gamme de produits autour de la simulation de procédé de fabrication. Il propose des logiciels pour la fonderie, l’emboutissage, l’assemblage ou encore les composites.

« Par exemple, avec PAM-STAMP, notre logiciel dédié à l’emboutissage des tôles en acier et en aluminium, nous pouvons prendre en compte la déformation des outils, la rigidité de la presse, etc. Cet outil est souvent utilisé pour anticiper la faisabilité des pièces, au moment de la phase de design. Cela permet de réaliser des simulations rapides avec des paramètres simples comme l’épaisseur de la pièce ou la pression maximale qu’elle peut subir », explique Emmanuel Leroy.

« Ensuite, nous avons des outils de chaînage pour relier ce résultat avec un logiciel pour mesurer les performances de l’emboutissage. Nous sommes capables d’associer différents processus de simulation et de prendre en compte de multiples matériaux, ce qui est assez rare sur le marché », continue-t-il.

« Enfin, dans l’usine, nous réalisons des simulations transitoires, détaillées afin d’ajuster le flanc, la quantité de matière nécessaire, ou encore diminuer les rebuts ».

Le logiciel ProCast d’ESI Group permet de « prédire, analyser et quantifier les défauts de moulage ». PAM-COMPOSITES, lui, est dédié à l’identification et la correction des défauts de fabrication des produits composites (fibres de verre, de carbone, etc.). SYSWELD sert principalement à tester virtuellement des assemblages et du soudage afin de repérer les possibles écarts ou les déformations liées à cette étape. La suite ACE+ est dédié au prototypage de semiconducteurs, tandis que VA One doit permettre de réaliser des tests vibroacoustiques avant même la fabrication d’un véhicule.

Les prémices des jumeaux numériques hybrides chez ESI Group

ESI développe également son activité autour de la réalité virtuelle, de la modélisation de systèmes 0D et 1D (SimulationX) et des jumeaux numériques hybrides. « Dans ce dernier cas, il s’agit d’évaluer le comportement d’un produit dans son environnement réel lors de sa conception, par exemple un véhicule sur la route, afin de savoir comment il va vieillir dans le temps et effectuer de la maintenance prédictive », affirme Emmanuel Leroy. « C’est peut-être le pendant le moins mature de notre activité, mais nous souhaitons fortement la développer. Nous avons des projets de jumeaux numériques, mais il s’agit beaucoup de projets d’innovation », ajoute-t-il.

Le dirigeant français soutient que le groupe ESI est à l’origine du concept du jumeau numérique hybride. S’il est toujours difficile de vérifier ce type d’information, il n’empêche que l’entreprise compte bien faire ses preuves et démontrer sa pertinence dans ce domaine ciblé par des acteurs comme Altair ou Ansys. Aussi, il espère pouvoir se différencier des concurrents de la simulation manufacturière tels Hexagon ou encore Autoform.

« Nous avons conscience que nos concurrents vont dans la même direction, mais nous avons des atouts pour supporter les traitements en temps réel », affirme Emmanuel Leroy.

« Je pense que la combinaison de modèles physiques et de modèles de machine learning représente l’avenir de la simulation. Je viens du terrain, je le sais : la réalité technique est complexe. Jusqu’alors, l’industrie 4.0 a consisté à installer des capteurs ou à récolter des données d’un peu partout, mais ces données demeurent mal exploitées et cette approche est coûteuse ».

Les données des capteurs seraient alors la source pour la formation de ces deux types de modèles combinés dans le cadre de la fabrication, mais aussi dans le maintien en opération d’un produit, d’un équipement (une éolienne par exemple) et de systèmes complexes.

De plus, ajoute le dirigeant, « si l’on se contente des algorithmes de machine learning ou d’IA, il est assez difficile d’anticiper des phénomènes physiques qui sont liés à la mécanique et à la modélisation des matériaux. Le jumeau numérique hybride est selon moi la bonne approche ».

Emmanuel Leroy se veut réaliste. Cette combinaison de l’IoT et du principe de jumeau numérique fait pour l’objet de projets d’innovation.

Pour autant, ESI Group aurait une carte à jouer au vu des travaux de R&D qui commencent à infuser dans ses produits. « Nous développons une spécialité consacrée à la réduction de dimensionnalité. Cela vise à pouvoir créer des modèles paramétriques dont on diminue la dimension grâce à l’intelligence artificielle. Cela permet de faire varier les paramètres en temps réel et obtenir des résultats en quasi-temps réel », vante Emmanuel Leroy.

Pour rappel, la réduction de la dimensionnalité est une méthode mathématique et informatique, pour représenter des données en provenance d’un espace de grande dimension et les remplacer par des données dans un espace de plus petite dimension.

Francisco « Paco » Chinesta, directeur scientifique d’ESI Group et professeur de physique computationnelle à l’ENSAM (École nationale supérieure d’arts et métiers), explique qu’ESI Group a testé cette technique avec Dassault Aviation pour mesurer et prédire la fatigue des matériaux qui compose un avion, dans l’objectif d’augmenter leur durée de vie. Selon le chercheur, l’IA est utilisée pour concevoir un modèle qui représente l’écart entre le modèle physique nominal et le produit final. En combinant les deux modèles, il s’agit de prédire le comportement du véhicule ou de l’équipement pendant sa conception et au-delà.

Optimiser les traitements sur les HPC et pousser les offres cloud

De manière générale, la simulation réclame la mise en place d’infrastructure IT conséquente, basée sur des HPC. « Nos outils sont déployés sur de gros clusters de calcul. Par un exemple, une simulation de choc automobile peut s’exécuter sur plus de 100 cœurs en parallèle, ce qui permet d’obtenir le résultat en moins de 10 heures », affirme le responsable. « Le coût du matériel ayant diminué ces dernières années, nos clients ont davantage les capacités pour réaliser ces simulations, et affiner ces résultats ».

Mais il n’est pas toujours évident de lancer plusieurs calculs en parallèle. ESI Group compte justement miser sur la réduction de dimensionnalité des modèles afin d’optimiser les opérations de simulation. Elle permet notamment de réduire la consommation CPU et en mémoire vive.

« De notre côté, nous allons davantage déployer des solutions à la demande, accessibles aux utilisateurs métiers. »
Emmanuel LeroyVP Industry Solutions, ESI Group

ESI Group n’est pas le seul à miser sur cette technique pour rendre tangibles les jumeaux numériques hybrides. L’industriel allemand Bosch prend la même route, guidé par son centre de recherche, afin de réduire les cycles de design et de prototypage.

ESI Group compte également étendre ses activités dans le cloud. « Les constructeurs comme Volkswagen ou Renault ont déjà beaucoup de clusters en propre dans le cloud. De notre côté, nous allons davantage déployer des solutions à la demande, accessibles aux utilisateurs métiers. », prévoit Emmanuel Leroy.

Enfin, l’éditeur commence à comprendre tout l’intérêt de faire converger simulation et PLM.

« Nous nous intégrons de plus en plus au PLM, notamment via la réalité virtuelle. De manière générale, la simulation doit s’intégrer avec cette colonne vertébrale chez nos clients. Aujourd’hui, nous travaillons avec PTC, mais nous sommes ouverts à d’autres éditeurs », conclut le responsable.

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