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Les USA prennent des parts dans Intel, pour des raisons floues

Le tour de passe-passe de l’administration Trump avec les reliquats du CHIPS Act lui permet d’échanger des subventions publiques contre des capitaux privés. Le bénéfice pour Intel sur le long terme n’est pas très lisible.

Intel va obtenir une aide publique américaine plus importante que celle prévue sous l’administration Biden, soit 8,9 milliards de dollars au lieu des 5,7 mds $ qui lui restaient à toucher dans le cadre du CHIPS Act. Mais, en échange, le gouvernement des USA devient actionnaire du fondeur à hauteur de 9,9 %.

Officiellement, il s’agit pour l’administration Trump de sauver le seul géant américain des semiconducteurs qui dispose de ses propres usines aux USA, alors qu’AMD et Nvidia sous-traitent la fabrication de leurs puces en Asie. Sur son réseau social Truth Social, le président Donald Trump s’est quant à lui félicité d’avoir mis dans les caisses de l’État des actions « évaluées à 11 milliards de dollars ».

Ce nouvel accord consiste à attribuer à Intel une aide supplémentaire de 3,2 mds $ hors CHIPS Act. Le CHIPS Act avait été imaginé par l’administration Biden pour relancer l’industrie des semiconducteurs sur le sol américain. Intel avait obtenu la promesse d’une subvention de 7,85 mds $ et avait déjà perçu 2,2 mds $ d’argent public. Sans rien devoir en retour, si ce n’est des créations d’emploi.

Aujourd’hui, l’administration Trump qualifie le CHIPS Act de « mauvais deal » et menace tous ses bénéficiaires de revoir à la baisse les subventions restant dues. Le fait de ne pas mettre cette menace à exécution fait également partie de l’accord conclu avec Intel.

Cet accord a été passé dans la foulée d’un appel à la démission du PDG d’Intel, Lip-Bu Tan, soupçonné par le sénateur américain Tom Cotton d’intelligence avec la Chine. Lip-Bu Tan avait initialement pris rendez-vous avec Donald Trump pour s’expliquer. « Il est entré en voulant garder son emploi et il a fini par donner 10 milliards de dollars aux États-Unis », a déclaré le président américain, selon Reuters.

Intel dans une spirale infernale

Reste à savoir si cette prise de participation des USA dans Intel va servir à autre chose qu’enrichir les caisses du gouvernement américain. Autrefois numéro 1 mondial des semiconducteurs, Intel paie encore aujourd’hui lourdement le fait d’avoir raté le virage des puces pour smartphones dans les années 2000.

Il a ainsi favorisé le développement d’usines asiatiques, principalement le Taiwanais TSMC, qui se sont modernisées rapidement, au point de proposer des chaînes de production plus performantes que celles d’Intel à ses concurrents. Notamment à AMD et Nvidia, désormais plus gros vendeurs de puces pour serveurs. Intel ne semble plus savoir comment se sortir de la spirale infernale dans laquelle la chute de ses ventes restreint ses investissements en innovation.

Lors de la publication de ses résultats trimestriels cet été, Intel affichait un chiffre d’affaires identique à celui de l’année dernière, soit 12,9 milliards de dollars, mais pour des pertes atteignant désormais 2,9 mds $. En cause, les usines coûtent 3,17 mds $ plus cher que ce qu’elles rapportent en facturation interne.

D’ailleurs, Lip-Bu Tan a laissé entendre que s’il ne trouvait pas de clients extérieurs pour rentabiliser ces chaînes de production, il pourrait tout aussi bien cesser toute activité industrielle. Pour faire comme AMD et Nvidia : se contenter de dessiner des puces et les faire fabriquer par TSMC. À date, le projet de construire des usines pour une précision de gravure record de 1,4 nm (dite 14A chez Intel) est en suspens.

Le PDG a aussi annoncé l’objectif de réduire le personnel à 75 000 salariés d’ici à la fin de l’année ; l’effectif d’Intel était de 110 000 personnes fin 2024. Ces coupes franches dans les ressources humaines n’augurent rien de positif dans les capacités d’Intel à rattraper son retard dans le design de puces pour l’IA. Le fondeur semble d’ailleurs plus se réorienter sur les circuits d’accélération d’appoint pour utiliser l’IA sur PC, alors que Nvidia et AMD s’enrichissent avec des GPU surpuissants pour entraîner l’IA sur des serveurs.

Risque d’ingérence des USA dans le commerce d’Intel

Sur le plan financier, la prise de participation du gouvernement américain dans Intel a suscité un malaise généralisé, compte tenu de la culture économique capitaliste des États-Unis, où la propriété publique des moyens de production industrielle est accueillie avec inquiétude.

Un formulaire 8-K, publié lundi par Intel, indique que le département américain du Commerce ne sera pas représenté au conseil d’administration, ce qui apaise quelque peu ces craintes, mais de nombreuses questions restent en suspens concernant le calendrier de la transaction et les conditions supplémentaires requises pour obtenir le financement, selon le formulaire.

Le formulaire souligne également les risques de l’accord avec le gouvernement, en particulier son effet possible sur les activités d’Intel en dehors des États-Unis.

« Les ventes hors des États-Unis ont représenté 76 % du chiffre d’affaires de la société pour l’exercice clos le 28 décembre 2024 », indique le formulaire. « Le fait que le gouvernement américain soit un actionnaire important de la société pourrait soumettre cette dernière à des réglementations, obligations ou restrictions supplémentaires, telles que les lois sur les subventions étrangères ou autres, dans d’autres pays. »

On pense notamment aux taxes sur les exportations de puces, une autre idée de l’administration Trump pour enrichir les caisses de l’État fédéral. Elle ne concerne pour l’instant que les GPU que Nvidia et AMD vendent en Chine.

« Prendre une participation dans Intel n’encourage pas la poursuite de la recherche et du développement, ni la production de technologies de semiconducteurs aux États-Unis », critique Tim Crawford, consultant pour le cabinet d’études Avoa.

« La meilleure opportunité serait d’investir dans des organismes de recherche qui sont à la pointe de l’innovation dans ce domaine et d’encourager les investissements à long terme [dans ce domaine]. La loi CHIPS Act visait en partie cet objectif. Supprimer le financement des instituts de recherche va à l’encontre de cet objectif », dit-il.

Vers un abandon des usines ? 

Par ailleurs, si la participation du gouvernement dans Intel peut constituer un coup de pouce à court terme, elle n’est qu’une étape vers la résolution du plus gros problème du fondeur, qui consiste à trouver des clients externes pour ses usines, en particulier celle de la génération 14A. Sans de tels clients, Intel ne ferait que financer une nouvelle fonderie pour ses propres besoins internes, ce qui n’est pas viable sur le plan économique.

« Dans tous les cas, l’activité de fonderie devra faire l’objet d’une surveillance renforcée de la part de conseillers qualifiés afin de redresser la barre. »
Patrick MoorheadAnalyste, Moor Insights and Strategy

Selon Patrick Moorhead, analyste chez Moor Insights and Strategy, Intel doit décider s’il souhaite séparer ses activités de fonderie et de conception. « Dans tous les cas, l’activité de fonderie devra faire l’objet d’une surveillance renforcée de la part de conseillers qualifiés afin de redresser la barre », estime-t-il.

« Du côté de la conception de puces d’Intel, l’entreprise pourrait potentiellement saisir une nouvelle opportunité de revitaliser ses processeurs à mesure que les charges de travail de l’IA générative deviennent plus efficaces et s’éloignent des clusters de GPU en datacenters pour se tourner vers une infrastructure x86 plus conventionnelle », commente l’analyste Jack Gold, du cabinet J.Gold Associates.

Si ce n’est pas le cas, cet écart pourrait être comblé par des concurrents tels qu’AMD et Qualcomm, mais le passage à de nouveaux fournisseurs de puces pourrait perturber les entreprises, estime Tim Crawford, en référence par exemple aux applications déjà écrites pour les puces et les bibliothèques d’Intel.

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