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Semiconducteurs : Intel en pourparlers pour fabriquer les puces d’AMD et Apple
Après une succession de revirements stratégiques, Intel prospecterait actuellement ses concurrents pour mettre sa nouvelle usine à leur disposition, dans un contexte de réindustrialisation voulue par l’administration Trump.
Intel est entré dans une campagne de prospection pour commercialiser les nouvelles chaînes de gravure dite 18A de son usine Fab52 en Arizona. Et selon le média en ligne Semafor, AMD serait en discussion pour y faire fabriquer ses processeurs dédiés aux PC et aux serveurs, lesquels concurrencent depuis toujours ceux d’Intel. Cette révélation succède à celle de Bloomberg qui, quelques jours plus tôt, écrivait qu’Apple s’était lui aussi rapproché d’Intel dans l’éventualité de lui confier la fabrication de ses puces Silicon pour iPhone, iPad et Mac. À ce stade préliminaire, personne n’a rien signé.
Les chaînes de gravure 18A sont l’équivalent chez Intel des chaînes de gravure en 2nm chez le taiwanais TSMC. Celui-ci est l’actuel numéro un mondial de la fabrication de semiconducteurs, avec une part de marché évaluée à 95% dans les puces de pointe. Pour Intel, qui s’est fait distancer depuis environ sept ans dans la fabrication et la fourniture de puces performantes, la location de ses nouvelles chaînes de production sonne comme une ultime tentative de sauver son activité industrielle.
Une succession de revirements stratégiques
Pour mémoire, plus les usines sont capables de repousser la finesse de gravure des semiconducteurs, plus elles coûtent cher à construire – TSMC a dépensé 17 milliards de dollars pour celle qui fabrique les actuels GPU Blackwell de Nvidia en 3 nm, et 20 mds $ pour celle qui produira la génération suivante de puces en 2 nm. De fait, la construction d’une nouvelle génération d’usines est conditionnée par les bons résultats financiers de la précédente.
À ce jeu, TSMC a pris une avance industrielle considérable grâce à l’enrichissement que lui a procuré la fabrication de puces pour smartphones dès 2011. Une activité dont Intel n’a pas voulu s’emparer, s’imaginant que dédier ses usines de semiconducteurs à la seule production de ses propres puces lui permettrait de conserver un avantage technologique. Une stratégie regrettable, puisque les concurrents des puces Intel finiront, en 2017, par faire sous-traiter leur production à TSMC. Il leur permettra de proposer des processeurs et d’autres composants de calcul plus performants que ceux sortis des usines d’Intel, lesquelles ne se modernisent pas assez vite faute de revenus extérieurs.
Intel se trouve alors coincé dans une spirale infernale : ses usines produisent des puces qui se vendent de moins en moins bien, ce qui l’empêche de plus en plus d’en produire des meilleures.
Il faudra attendre 2021 pour qu’Intel comprenne son erreur et rappelle à sa tête Pat Gelsinger, son ancien patron technologique, afin qu’il calque le modèle économique de TSMC. Mais investir dans des usines suffisamment dernier cri pour que leurs chaînes soient susceptibles d’intéresser les clients du fondeur taiwanais coûte bien trop cher – 32 milliards de dollars - aux actionnaires d’Intel. Pat Gelsinger est limogé fin 2024, avant même que son projet d’usine 18A soit sorti de terre. Mis à sa place, le financier Lip-Bu Tan pense plutôt calquer le modèle d’AMD, à savoir fermer les usines et devenir à son tour client de TSMC.
Mais c’était sans compter sur les ambitions de Washington concernant la relance de l’industrie des semiconducteurs sur le sol américain.
L’enjeu de semiconducteurs fabriqués aux USA
Échouant pour l’instant à trouver un accord sur le déménagement des usines de TSMC aux USA, l’administration Trump s’est montrée particulièrement persuasive pour qu’Intel s’efforce de maintenir son activité industrielle. Le gouvernement américain s’est octroyé près de 10% du capital de l’entreprise en échange d’un financement de 8,9 milliards de dollars. SoftBank, qui est partie prenante dans le projet de suprématie de l’IA américaine, a fait de même avec un investissement de 2 mds $.
La semaine dernière, c’est Nvidia, dont la production de GPU dépend à 100% de TSMC, qui a consenti à offrir 5 mds $ supplémentaires à Intel (contre 4% de son capital). Pour autant, cet investissement n’est pas directement lié au maintien des usines. Officiellement, Nvidia financerait ici le portage de ses technologies GPU et réseau dans les puces d’Intel, sous-entendu pour ne plus qu’Intel développe des technologies concurrentes. Sachant que, selon Lip-Bu Tan, développer des technologies concurrentes à Nvidia serait justement tout ce qui resterait à Intel pour exister sur le marché s’il fermait son activité industrielle.
Nvidia n’a pour l’instant rien déclaré concernant la possibilité de faire fabriquer ses GPU et autres composants dans les usines américaines d’Intel. Même s’il est, comme Apple et AMD, sous la menace de payer 100% de taxes sur les circuits qu’il importe de Taiwan pour les revendre aux USA.
En attendant, Intel devrait dévoiler dans quelques jours son premier processeur Core pour PC gravé dans l’usine Fab52 d’Arizona, avec, donc, une finesse « 18A » (pour 18 angströms, soit 1,8 nm). Officiellement, cette génération de processeurs, appelée Panther Lake, devrait montrer jusqu’à 15% de performances en plus par watt et une densité de transistors 30% supérieure, par rapport à l’actuelle génération de puces Intel gravées en 7 nm. Le processeur Xeon équivalent pour serveurs, appelé Clearwater Forest, devrait sortir de la même usine dans le courant du premier semestre 2026.
Ce n’est qu’alors qu’AMD, Apple et sans doute Nvidia sauront si cette usine sait produire des puces aussi puissantes que celles fabriquées à Taiwan.