Renault motorisera son ingénierie avec la plateforme 3DExperience

Après plus de 20 ans de relation avec Dassault Systèmes, le groupe Renault adopte la plateforme 3DExperience. Le projet est aussi conséquent que les attentes du constructeur automobile sont fortes.

Quatre ans et demi. C’est la durée du partenariat entre Renault et Dassault Systèmes annoncé à la fin du mois de décembre 2021. Le constructeur automobile a choisi d’adopter la plateforme 3DExperience, le portefeuille de logiciels comprenant CATIA, SOLIDWORKS, ENOVIA, DELMIA, SIMULIA, NETVIBES, Centric PLM ou encore 3DExcite.

Dans un communiqué de presse, Dassault Systèmes précise que Renault a opté pour quatre « Industry Solutions Experiences » : « On Target Vehicle Launch », « Smart, Safe & Connected », « Global Modular Architecture » et « Efficient Multi Energy Platform ». Elles résultent de la combinaison de CATIA, SIMULIA, NETVIBES et ENOVIA. Elles seront utilisées par plus de 20 000 collaborateurs.

Pour les deux entités, cette relation n’est pas nouvelle. Cela fait plus de 20 ans que l’ingénierie de Renault s’appuie sur le PLM, la suite CAO, la brique de simulation de Dassault Systèmes pour concevoir ses véhicules. D’ailleurs, le groupe automobile n’est pas le seul.

« Ce que vous ne savez sûrement pas, c’est que 80 à 90 % des voitures que vous croisez dans la rue ont été conçues avec nos logiciels », vante Laurence Montanari, VP Transportation & Mobility Industry chez Dassault Systèmes, ingénieure de formation et ancienne responsable de projet de mobilité EZ Flex pour le groupe Renault.

De fait, Dassault Systèmes a pour client des constructeurs, des équipementiers et différents acteurs de la chaîne industrielle automobile. Officiellement, Jaguar Land Rover, DS Automobiles, Tesla, BMW, Toyota, Bosch, Akka Technologies ou encore Geiko Taikisha utilisent ses progiciels.

Faire la « Renaulution »

Renault fait face aux mêmes défis que ses concurrents et partenaires de l’industrie automobile. « Nous devons répondre à plusieurs enjeux », précise Olivier Colmard, directeur Ingénierie Simulation Numérique et PLM, chez le groupe Renault. « Nous avons des contraintes de plus en plus fortes d’un point de vue réglementaire liées au contexte automobile particulièrement compliqué : émissions de CO2, sécurité, etc. Cela nous oblige à avoir une gestion très rigoureuse de ces sujets-là. Ensuite, notre produit devient de plus en plus complexe : nos véhicules sont désormais électrifiés, connectés, hybrides et nous avons une dose d’autonomie (d’assistance à la conduite ou de conduite autonome N.D.L.R.) de plus en plus forte. Nous devons revoir la manière de développer les véhicules ».

« Nous avons de plus en plus de logiciels embarqués et en dehors de nos véhicules, puisque les véhicules sont eux-mêmes communicants. »
Olivier ColmardDirecteur Ingénierie Simulation Numérique et PLM, Renault

Cette complexité est aussi liée à une « explosion des systèmes et des logiciels », selon le directeur. « Nous avons de plus en plus de logiciels embarqués et en dehors de nos véhicules, puisque les véhicules sont eux-mêmes communicants », souligne-t-il.

Mais le cas de Renault est singulier par bien des aspects. Le groupe a lancé sa « Renaulution », un plan stratégique en trois phases passant par une « résurrection », une « rénovation » et une « révolution ». Dans un premier temps, il s’agit de réduire les coûts et de générer du profit d’ici 2023, puis de renouveler et d’enrichir les gammes de véhicules d’ici 2025. Dès 2025, Renault veut faire « pivoter [son] modèle économique vers la technologie, l’énergie et les nouvelles mobilités ».

Toutes les fonctions, les marques et les divisions de l’entreprise sont embarquées dans ce plan, tout comme les partenaires de l’alliance Renault Nissan Mitsubishi. L’ingénierie du groupe a pour mission de rationaliser la conception en passant de six à trois plateformes modulaires pour les véhicules particuliers et de 4 à 8 familles de groupes motopropulseurs en Europe d’ici 2025. L’objectif : réduire d’un an le temps de développement d’une voiture tout en passant maître en matière d’électrification et de services connectés.

Pour cela, il faut moderniser la chaîne d’outils de conception et de collaboration du groupe. « Nous voulons développer un backbone collaboratif qui va nous permettre de faire échanger tous les métiers autour de ce que nous avons appelé “le jumeau numérique” de nos véhicules », affirme Olivier Colmard. Le fait de devoir diminuer le temps de mise sur le marché des produits réclame aussi de « concevoir juste du premier coup », c’est-à-dire valider au maximum le fonctionnement des véhicules sans support physique. « Nous voulons faire en sorte que les prototypes que nous fabriquons en fin de développement ne servent qu’aux vérifications et aux respects des réglementations ».

Une V6 en perte de vitesse

Or Renault a opté pour CATIA et Enovia V6 en 2010 pour ses maquettes numériques. Les entités d’ingénierie maintiennent depuis plus de huit ans la version 2013X de ces logiciels, entrée en disponibilité générale en novembre 2012. « Nous avons raté toutes les évolutions fonctionnelles que Dassault Système a introduites en 2014, 2016, et jusqu’à 2021. Cette plateforme arrive à un degré d’obsolescence qui commence à devenir pénalisant, notamment en matière de temps de réponse », informe Denis Molle, directeur Informatique Ingénierie chez le groupe Renault. « Cela ne touche pas tout le périmètre existant du PLM, mais en ce qui concerne la conception de la maquette numérique, il fallait sortir de la solution actuelle ».

« L’un des avantages d’une solution on premise, c’est que l’on peut la personnaliser à outrance […]. Mais plus nous avons customisé, plus nous avons rendu difficiles et lourdes les montées de versions. »
Denis MolleDirecteur Informatique Ingénierie, Renault

À l’origine, cette V6 était installée sur des serveurs internes. « L’un des avantages d’une solution on premise, c’est que l’on peut la personnaliser à outrance : nous avons pu l’adapter à nos besoins et à nos processus », continue-t-il. « Cela a apporté beaucoup de valeurs à l’ingénierie, mais plus nous avons customisé, plus nous avons rendu difficiles et lourdes les montées de versions. Nous n’avons pas dépassé la 2013X parce que cela comportait trop de risques ».

Cloud privé et SaaS

De plus, il ne s’agit donc pas d’adopter uniquement une solution de conception de maquettes 3D, mais aussi de passer au cloud. « Cela fait partie d’une stratégie globale, très structurée de l’entreprise. Cela fait maintenant quelques années que nous sommes lancés dans la migration de nos systèmes d’information d’ingénierie, de manufacturing ou commerciaux. Nous sommes en train de migrer nos SI vers des clouds publics ou privés », rappelle Denis Molle.

Le choix de la plateforme 3DExperience dans le cloud doit répondre à des exigences « classiques » de montée à l’échelle, de gestion élastique des ressources en fonction des usages et de maîtrise des coûts. Pour protéger ses intérêts industriels, Renault a choisi de déployer la plateforme dans un cloud privé hébergé et administré par Dassault Systèmes. « Nous avons vérifié les notions de confidentialité et de sécurité. Elles sont conformes à nos attentes », assure-t-il.

« Finalement, nous cherchons autre chose. Avec Dassault Systèmes, nous n’adoptons pas seulement le cloud, mais aussi un mode SaaS », indique le directeur informatique ingénierie. « Nous voulons bénéficier de toutes les améliorations techniques et fonctionnelles que Dassault Systèmes va apporter à sa plateforme. D’ailleurs, cela va nous obliger à maximiser l’usage de la solution dite “sur étagère” de l’éditeur ».

Pour l’IT, c’est un gain de tranquillité. « Concernant la qualité opérationnelle, nous aurons une gouvernance simplifiée, puisque nous allons donner à Dassault les moyens d’exercer la maîtrise de la disponibilité des logiciels et de la plateforme technique 3DS Outscale sur laquelle ils s’exécutent », considère Denis Molle.

Pour les métiers, c’est l’assurance de profiter des évolutions de la plateforme. « Ce qui est intéressant, c’est de pouvoir bénéficier des évolutions permanentes de la solution, et que Dassault Systèmes va intégrer des besoins et des spécificités de Renault ; c’est l’objet du partenariat », indique Olivier Colmard. « Mais nous allons aussi bénéficier des mises à jour réclamées par d’autres industriels. Par exemple, Boeing et Airbus sont des clients Dassault Systèmes. Si Boeing demande un jour d’améliorer les fonctionnalités pour assembler des rivets sur un avion, cela peut potentiellement nous intéresser pour gérer nos points de soudure ».

Le SaaS, déjà un turbo pour les métiers

En réalité, la plateforme 3DExperience a déjà été mise en place entre 2018 et 2020. C’est ce test concluant qui a décidé Renault d’opter pour la version SaaS. Depuis, les deux entités ont lancé les premiers déploiements. Les gains de performance se font déjà sentir. « Jusqu’à présent, pour charger une maquette numérique d’un véhicule complet, il fallait une station de travail fixe coûteuse et une personne compétente pour ouvrir le fichier. Cela prenait plusieurs minutes, voire plusieurs dizaines de minutes. Avec 3DExperience, un manager se connecte dans le cloud via un PC standard et charge la maquette 3D de son véhicule en quelques secondes », compare le directeur Ingénierie Simulation Numérique et PLM.

« Au lieu de gérer la relation fournisseur depuis un fichier CSV, l’acheteur peut accéder à un objet 3D en montrant la pièce, en faisant une prise de côte sur un PC standard. »
Olivier ColmardDirecteur Ingénierie Simulation Numérique et PLM, Renault

Aujourd’hui, plus de 2 000 utilisateurs peuvent consulter les maquettes de tous les véhicules en cours d’étude.

Ce gain de performance aurait des effets directs sur la collaboration entre les différents métiers. « Un responsable peut entrer en discussion autour d’un objet 3D avec son concepteur, avec les collaborateurs. Cela va complètement changer les usages. Au lieu de gérer la relation fournisseur depuis un fichier CSV, l’acheteur peut accéder à un objet 3D en montrant la pièce, en faisant une prise de côte sur un PC standard. Avant ce n’était même pas imaginable », illustre-t-il.

Aussi, cela promet de briser les barrières de la langue. « Quand des collaborateurs français, roumains et japonais discutent en anglais, il peut y avoir des incompréhensions qui sont tout de suite levées avec un modèle en 3D », juge le directeur.

« Jumeau numérique » : la quête du référentiel unique

Mais ce qui est véritablement nouveau pour les équipes ingénierie de Renault dans le monde du PLM, c’est « la maîtrise des logiciels et des systèmes ». « Nous voulons mettre en place une ingénierie basée sur les modèles (MBSE) et obtenir une traçabilité complète depuis les exigences, en passant par le développement des logiciels, jusqu’à la simulation, les tests, puis l’homologation », explique Olivier Colmard.

Cela deviendrait indispensable dans un monde où chacun des calculateurs (ECU) d’un véhicule (plus d’une vingtaine au total) peut être mis à jour à distance, en « Over The Air » (OTA).

3DExperience deviendra la plateforme permettant de mêler BOM (bill of materials) et SBOM (Software Bill of Materials) des véhicules. « Aujourd’hui, le développement des ADAS, des ECU et des logiciels est réalisé à travers de multiples outils hétéroclites », constate le directeur Ingénierie Simulation Numérique et PLM. « L’idée, c’est d’avoir une plateforme permettant de décrire toutes les exigences du véhicule jusqu’au design des différents systèmes chargés dans les différents ECU de la voiture. Cette architecture basée sur des modèles sera décrite dans des outils comme CATIA Magic », ajoute-t-il.

« Nous voulons mettre en place une ingénierie basée sur les modèles (MBSE) et obtenir une traçabilité complète depuis les exigences […] jusqu’à la simulation, les tests puis l’homologation. »
Olivier ColmardDirecteur Ingénierie Simulation Numérique et PLM, Renault

Ces modèles pourront ensuite être transmis à SIMULIA pour effectuer différentes simulations afin d’éprouver les modèles, les logiciels, le hardware embarqué. « Nous allons même pouvoir aller au-delà avec du Vehicle In the Loop (VIL), c’est-à-dire la conception d’une véritable voiture connectée à un environnement virtuel, jusqu’à introduire le conducteur (des experts ou des clients) qui pourra tester le véhicule et ses capacités dans un simulateur », anticipe Olivier Colmard.

Renault doit encore migrer son existant depuis CATIA et son PLM actuel vers 3DExperience. Cette étape commencera par un projet pilote prévu en 2023. « Ensuite, nous réalisons une migration massive des véhicules existants, quand cela sera possible, sans que cela perturbe leur développement », prévoit le responsable. « Nous nous donnons comme ambition de migrer 100 % de nos ressources présentes dans notre PLM à l’horizon 2025 ».  

Cependant, tous les SI existants n’iront pas dans le cloud de Dassault. « Un certain nombre de systèmes resteront là où ils sont. Pour autant, nous indexons dans la plateforme 3DExperience toutes les données qui nous paraissent intéressantes et nous les rendons accessibles aux utilisateurs », précise-t-il.

Il s’agit d’obtenir une seule source de vérité pour l’ensemble des entités de l’entreprise. Ainsi, une fonctionnalité de la plateforme 3DExperience permet de reconnaître les pièces similaires à partir des modèles 3D. « Nous allons pouvoir identifier des pièces similaires sur d’autres véhicules, sur d’autres usines, voire chez les différents constructeurs du groupe. Cela va nous permettre de réutiliser des pièces sans relancer leur développement », anticipe Olivier Colmard.

« De manière générale, nous identifions les données référentielles et leur emplacement. Nous les exposons sous forme d’API pour que les systèmes qui en ont besoin les consomment », complète Denis Molle.

Par exemple, Renault a mis en place des HPC hybrides pour gérer la consommation importante de ressources IT par la simulation. « Ces dernières années, nous avons mis en place des configurations mixtes avec une puissance réservée au minimum de nos besoins de simulation et ensuite un débordement sur le cloud pour gérer les pics », déclare le directeur informatique.

Cela demande des développements spécifiques partagés entre les équipes de Renault, celles de Dassault Systèmes et celles de son partenaire Capgemini. « Nous sommes en train de construire la feuille de route avec Dassault Systèmes. Nous n’avons pas encore les portes d’entrée vers nos systèmes d’information, qu’ils soient dans le cloud ou non ».

Les équipes ingénieries et métiers, elles, sont accompagnées par Alten et Cognitive Companions. « La conduite du changement est un sujet très important. Ces outils sont puissants et malgré tout complexes », affirme Olivier Colmard. « Nous voulons que 100 % des utilisateurs, 20 000 collaborateurs bénéficient de la bonne formation selon leurs propres besoins ».

Enfin, des dispositifs d’assistance permettent déjà d’aider les concepteurs ou de les accompagner à certaines étapes de conception des véhicules. Selon Olivier Colmard, ces dispositifs sont bienvenus, puisque le SaaS apporte une nouvelle dynamique d’apprentissage. Il ne sera plus nécessaire de réaliser des formations de longue durée. Ce fractionnement sera « beaucoup plus digeste et sûrement bénéfique », conclut-il.

Pour approfondir sur Industrie et distribution

Close