SAP se restructure pour mieux parler IA

8 000 postes vont être touchés par une restructuration de l’éditeur allemand destinée à préparer SAP à la vague de l’Intelligence artificielle. Les marchés financiers valident. Mais les analystes IT rappellent qu’avant l’IA, SAP doit encore relever les défis de S/4 et du cloud.

Dans la foulée d’une excellente année fiscale 2023, SAP a annoncé qu’il allait se restructurer avec l’Intelligence artificielle (IA) en ligne de mire. La décision devrait toucher environ 8 000 employés.

Les détails n’ont pas été précisés, mais cette restructuration aura lieu en 2024 pour « garantir que les compétences et les ressources de SAP continuent à répondre aux besoins futurs de l’entreprise », a déclaré la société dans un communiqué.

SAP n’a pas précisé s’il aurait recours à des licenciements. La société a en revanche indiqué que certaines suppressions de postes seraient faites dans le cadre de programmes de départs volontaires et de migrations internes. SAP prévoit que ses effectifs (107 000 en décembre 2023) resteront inchangés à la fin 2024.

La restructuration a été annoncée alors que SAP a publié de bons résultats, marqués notamment par une forte croissance du cloud (+25 % de revenus au quatrième trimestre 2023). Sur 2023, son chiffre d’affaires total a progressé de 5 % et son résultat d’exploitation de 9 % par rapport à l’année précédente.

SAP est « plus fort et plus pertinent que jamais », avance Christian Klein, PDG de SAP, lors d’une conférence de presse ce mercredi au siège de la société à Walldorf. Mais le secteur de la technologie évolue plus rapidement que jamais et SAP doit toujours « penser à l’avenir », a-t-il ajouté.

M. Klein a qualifié la restructuration d’investissement pour la croissance future. L’entreprise prévoit par ailleurs d’investir près d’un milliard d’euros dans l’IA d’ici à la fin de 2025, en particulier dans les domaines de la chaîne d’approvisionnement et les solutions de développement durable.

Cependant, tous les employés ne sont pas adaptés à cette transformation. « Sur les 8 000 [suppressions concernées], nous espérons pouvoir en gérer les deux tiers grâce à des mesures volontaires comme la retraite anticipée », souligne le PDG. « Et nous investirons plus de [100 millions d’euros] dans la formation pour aider les gens à trouver de nouveaux emplois dans les secteurs de croissance ».

Au total, SAP consacrera environ 2 milliards d’euros à son programme de restructuration qui devrait être équilibré entre différentes Business Units de l’entreprise et les différentes régions.

La problématique de S/4HANA avant celle de l’IA

Wall Street semble avoir très bien accueilli les résultats et la stratégie de SAP – l’action a même atteint son plus haut historique après ces annonces. La restructuration démontre que ses dirigeants « font ce qu’il faut pour serrer la ceinture de la société », explique Josh Greenbaum, directeur d’Enterprise Applications Consulting. Ce qui plaît aux investisseurs. Mais il y a un « mais ».

Certes « SAP va se recentrer sur l’IA, au moins de manière pro forma, parce que c’est la nouvelle chose sexy que Wall Street aime », souligne M. Greenbaum, mais, ajoute-t-il, « l’éditeur devra aussi s’assurer que ses clients migrent vers S/4HANA – première étape indispensable pour bénéficier de l’IA. »

« La date limite [de fin du support de l’ancien ERP ECC] se rapproche. Et la complexité du problème de la base clients [qui ne migrent pas] s’accroît. »
Josh GreenbaumDirecteur, Enterprise Applications Consulting

« C’est un sujet important, car la date limite [de fin du support de l’ancien ERP ECC] se rapproche. Et la complexité du problème de la base clients [qui ne migrent pas] s’accroît », prévient-il. « Plus ces entreprises tardent, plus SAP va devoir consacrer de ressources pour essayer de les inciter à franchir le pas ».

Forrester confirme. On parle beaucoup d’IA. Mais la double priorité des priorités pour SAP reste de persuader ses clients de passer à S4 et de migrer vers le cloud, avance Liz Herbert, VP et analyste principale chez Forrester.

Pour elles, ce sont même « les deux éléments les plus importants de l’histoire. [D’autant que] SAP a été plutôt en retard sur le cloud par rapport à certains concurrents dans l’ERP, en particulier Oracle, qui a franchi ce pas il y a plus de dix ans [avec Fusion] », compare-t-elle.

Mais il n’est toujours pas simple de convaincre les clients. Les plus gros ont consacré beaucoup de temps et d’argent pour déployer et optimiser leurs ERPs (développement de spécifiques, etc.). Conséquence, ils ne sont pas pressés de migrer.

« Pour de nombreuses grandes entreprises internationales, passer à S/4 est un projet de plusieurs centaines de millions de dollars, voire d’un milliard de dollars, c’est un chantier gigantesque », rappelle Mme Herbert, qui ajoute que la capacité de SAP à continuer à migrer sa base vers le cloud et à le faire avec une bonne expérience client « reste un défi que nous avons identifié [chez nos clients] ».

Des fonctionnalités restent à ajouter au cloud

D’un autre côté, certains clients attendent encore que des fonctionnalités soient ajoutées aux ERP cloud de SAP, continue Mme Herbert. « Ils estiment que la version SaaS n’est pas prête, en particulier dans certaines industries où SAP était très fort. Nous continuons à entendre cette demande », confie-t-elle. « SAP doit continuer à approfondir cette fibre par industrie [par secteur]. Cela a toujours été l’un de ses principaux différenciateurs. Cela semble être moins marqué dans le cloud ».

« [Certains clients] ne sont pas convaincus que la stratégie de SAP vers la standardisation et le cloud public soit adaptée à leurs besoins. »
Christian HestermannDirecteur principal et analyste, Gartner

Résultat, une étude de Gartner montre que deux tiers des clients de SAP n’ont pas encore commencé à migrer vers S4. « Une des raisons est la difficulté de certains à identifier des cas d’usages qui démontrerait la valeur d’une migration », commente Christian Hestermann, directeur principal et analyste chez Gartner. « D’autres ne sont pas convaincus que la stratégie de SAP vers la standardisation et le cloud public soit adaptée à leurs besoins […] SAP a été en mesure pendant des années de leur fournir des solutions profondément intégrées et adaptables, qui soutiennent les processus de bout en bout de leurs entreprises. Or c’est dans ces processus de bout en bout que se manifeste toute la diversité de sa base clients ».

Avec cet éclairage, on comprend mieux pourquoi la décision de SAP de lier ses innovations en matière d’IA au cloud (SaaS) et à RISE ne plaît pas à tous ses clients.

L’USF « inquiète et surprise »

En France, l’USF se montre particulièrement critique, pour ne pas dire virulente en réaction à ces décisions.

« La communauté des utilisateurs SAP francophones est à la fois surprise et inquiète à la suite de ces annonces », lance Gianmaria Perancin, le président de l’association de clients francophones de SAP. « Surprise de la priorité de plus en plus stratégique accordée par SAP à l’IA, alors même que les virages stratégiques récents sont loin d’être complètement et définitivement adoptés par les clients sur le terrain », continue le communiqué de l’association.

L’USF y évoque « une transition S/4HANA non terminée », « une transition RISE non comprise » et critique « des transformations à marche forcée [vers le cloud] qui sont imposées par l’éditeur ».

Contacté par LaMagIT, SAP France a assuré par la voix de son COO, Orlando Appell, que des innovations continueraient d’être apportées à S/4HANA on prem, en particulier les innovations fonctionnelles (l’IA et le Green Ledger restant, comme annoncé par Christian Klein, des fonctionnalités liées à une licence Rise).

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