
Oracle sur le point de devenir un grand hyperscaler grâce à l’IA
Jusqu’à présent, ses 3% de parts de marché ne permettaient pas à Oracle de peser bien lourd face aux trois géants du cloud que sont AWS, Azure et OCI. Mais la signature récente de gros contrats d’infrastructures pourrait le propulser à leur niveau.
Que l'IA d'entreprise soit finalement une aubaine ou une bulle, les acheteurs de solutions informatiques ont un nouvel acteur majeur à prendre en compte : Oracle Cloud Infrastructure (OCI).
Oracle a fait la une des médias ce mois-ci, notamment avec des prévisions de revenus en forte hausse pour son activité cloud le 9 septembre, principalement grâce aux investissements de sociétés pionnières telles que la coentreprise Stargate entre OpenAI et Softbank. Stargate a signé en juin un contrat de 4,5 gigawatts avec Oracle pour un centre de données. Au total, la fourniture d’infrastructures pour OpenAI devrait rapporter à Oracle, pour l’instant, 300 milliards de dollars.
« Grâce aux récents contrats signés par OCI pour ses infrastructures d’IA, on peut dire qu’il existe désormais quatre hyperscalers cloud », estime Steven Dickens, qui compte donc à présent Oracle parmi les grands fournisseurs d'infrastructures cloud que sont AWS, Microsoft Azure et Google.
Oracle, comme la plupart de ses concurrents dans le domaine des infrastructures cloud, est déterminé à tirer parti de la ruée vers l'or que traverse le secteur des infrastructures d'IA. Des études constatent en effet que les prévisions budgétaires des entreprises vont désormais majoritairement dans le sens de larges déploiements pour les infrastructures d’IA. Steven Dickens explique que ces prévisions de forts investissements découlent d’une forte croissance de l’IA qui fait subir à l'infrastructure informatique un changement générationnel.
« Nous continuerons à parler des dépenses d'investissement dans les infrastructures pendant au moins cinq ans, voire sept ou dix ans, avant que celles-ci ne diminuent progressivement. » En d’autres termes, c’est maintenant que les acteurs de l’infrastructure auraient une carte à jouer s’ils veulent encrer durablement leurs solutions dans les entreprises. Et Oracle serait celui qui l’a le mieux compris.
Chirag Dekate, analyste chez Gartner, décrypte ainsi la stratégie du fournisseur : « l'approche d'Oracle consiste essentiellement à aller tout de suite là où il y a de l'argent à dépenser pour déployer les infrastructures nécessaires à l’entraînement des IA et à leur utilisation. Oracle veut faire figure d’acteur avant-gardiste dans ce domaine, essayant de se faire passer pour celui qui donne le ton dans le type d’approche qu’il faudrait suivre pour au moins la décennie suivante dans les infrastructures de l’IA. »
Selon ses toutes dernières études, Gartner prévoit que l'IA représentera 1 500 milliards de dollars de dépenses mondiales en 2025 et 2 000 milliards de dollars en 2026. Certes, l’infrastructure ne jouera qu’un rôle de second plan dans ces dépenses, dont la majeure partie proviendra plus vraisemblablement de l'intégration de l'IA dans les smartphones et les PC. Cependant, certains éléments indiquent que les entreprises sont déjà prêtes à payer plus cher pour des logiciels dotés de fonctionnalités d'IA. Fonctionnalités qui devront s’exécuter sur des infrastructures cloud adaptées.
Cette semaine, Oracle a remanié sa direction en conséquence. Le double poste de co-PDG est désormais assuré par deux de ses hauts cadres particulièrement impliqués dans la stratégie de l’IA, Clay Magouyrk, ancien directeur général d’OCI, et Mike Sicilia, ancien directeur général d'Oracle Industries. Ils remplacent tous deux Safra Catz, qui officiait jusqu’à présent comme co-PDG d’Oracle aux côtés de Larry Ellison (en photo en haut de cet article), lequel a officiellement les rôles de président du conseil d'administration et de directeur technique d'Oracle.
Se positionner comme le technicien de l’IA dans tout l’écosystème du cloud
Pour l'instant, les perspectives de croissance des infrastructures d'IA ont offert à Oracle et à d'autres fournisseurs d’équipements IT de nouvelles opportunités d'étendre leurs activités et une incitation à investir dans la R&D. Ces nouveaux investissements entraînent à leur tour des changements importants dans la dynamique concurrentielle, qui était relativement stable depuis au moins une décennie.
« Au cours des 18 derniers mois, tout le monde a dû repenser fondamentalement son architecture », y compris l'alimentation et le refroidissement des centres de données, dans un contexte d'afflux massif de GPU gourmands en ressources, dit Steven Dickens. « Si même Michael Dell consacre une partie de son discours d'ouverture lors du Dell Technologies World au refroidissement liquide, cela prouve à quel point le monde s’intéresse aux détails technico-techniques en ce moment. »
Depuis un an, OCI a ainsi misé sur des développements de pointe, conçus pour les entreprises pionnières dans l'adoption de l'IA. La société a créé des passerelles vers l'IA pour ses clients disposant déjà de bases de données et pour les données qu'ils stockent déjà dans Oracle et MySQL, à partir de septembre avec les mises à jour de ses applications Oracle Fusion, puis en décembre avec Oracle Enterprise Manager (EM) 24ai.
« Oracle a vraiment réussi à rendre l'IA presque invisible dans ses applications Fusion, ce qui les rend plus attractives », explique Rob Strechay, analyste chez TheCube Research. « Mais la caractéristique la plus forte d'OCI est qu'il ne s'agit pas d'un lieu, mais d'un modèle opérationnel. Ce modèle opérationnel pourrait être situé chez AWS, le plus grand partenaire d'Oracle, où ils installeront bientôt un cluster de bases de données Oracle EM 24ai sur l'infrastructure Oracle Exascale. »
Oracle s'est également montré agressif dans sa tarification de l'IaaS au cours de l'année dernière, affirmant proposer des prix inférieurs d'au moins 50 % à ceux des autres fournisseurs, bien que les différentes approches des fournisseurs en matière de ventilation des prix publics rendent cela difficile à vérifier. Il n’empêche : les clients d’Oracle peuvent désormais utiliser des services tels qu'Amazon Bedrock sans avoir à se soucier des frais de réseau sortants.
Oracle a conclu des partenariats similaires en septembre 2024 avec Google et Azure et a également déployé une prise en charge du cloud privé. Ces fournisseurs de cloud proposent également des services cloud distribués tels que AWS Outposts, mais ceux-ci restent liés à un plan de contrôle et à des services cloud régionaux, tandis que Cloud@Customer d'Oracle peut être complètement déconnecté.
« Fujitsu, par exemple, exploite une instance Oracle Cloud au Japon, pour les clients japonais », indique Rob Strechay. « Vous pouvez être un fournisseur de services cloud OCI sans que vos services soient nécessairement liés directement à Oracle, ou aux États-Unis, d'ailleurs. Ils ont donc établi un partenariat plus avantageux. »
L’enjeu pour OCI : parvenir à durer
Le carnet de commandes de 455 milliards de dollars déclaré par Oracle pour ses services cloud va dans le sens d’une propulsion d’OCI au sommet du classement des fournisseurs de cloud public. Cependant, il lui reste encore un long chemin à parcourir pour se hisser à leur niveau. Selon un rapport du Synergy Research Group, OCI se classe, au deuxième trimestre 2025, en cinquième position en termes de parts de marché, avec 3 %, derrière AWS (30 %), Azure (20 %), Google Cloud (13 %) et Alibaba (4 %).
Ce chemin est composé de deux obstacles : l’accès à suffisamment de GPU pour asseoir la puissance de son infrastructure et la pérennité de ses choix technologiques.
Sur le fait de pouvoir acheter assez de GPU malgré la pénurie causée par une production limitée des usines de TSMC pour Nvidia, Steven Dickens se veut optimiste : « Larry Ellison a toujours des amis aux bons endroits ! », lance-t-il à propos de la proximité du patron d’Oracle et de l’administration Trump. Il estime aussi que le carnet de commandes déjà signé avec OpenAI devrait le rendre prioritaire dans les livraisons de Nvidia, chez qui il a passé en mai une commande de 40 milliards de dollars.
Sur le second point, en revanche, Steven Dickens pense qu’il est beaucoup trop tôt pour prédire quelles approches techniques vont perdurer. Il appuie notamment son raisonnement sur un rapport publié en août par des chercheurs du MIT qui indique que 95 % des entreprises ne tirent pour l’instant aucun retour sur leur investissement dans l'IA. Et les investissements dans les infrastructures IA d’OCI n’échappent pas à la règle.
« Cela fait un peu plus de deux ans que nous avons commencé à utiliser l'IA générative et nous commençons seulement à voir des répercussions dans les entreprises », dit Steven Dickens.