Forrester prévoit l’explosion de la « bulle IA » en 2026
Le cabinet de conseils anticipe une correction du marché de l’IA avec un retour à la rationalité économique des projets. Ce revirement est riche de conséquences pour les DSI. Mais il ne retire rien à la puissance des mutations en cours.
L’intelligence artificielle générative est omniprésente. C’est un fait. Des entreprises comme Amazon, KPMG, Kraft Heinz ou ING se réorganisent en profondeur, voire licencient, pour concrétiser sans attendre les promesses de cette technologie. Les fournisseurs, eux, font des investissements énormes dans les datacenters et dans les sources d’énergie pour les alimenter.
Mais voilà que plus d’un mois avant l’hiver, Forrester jette un sérieux coup de froid sur l’IA.
L’avènement d’une IA plus fonctionnelle, avec moins de fioritures
Le cabinet d’analyste n’enterre pas cette technologie. Loin de là. Mais il prévoit « l’éclatement de la bulle dès 2026 ». Concrètement, les entreprises sortiront d’une phase d’hyper-enthousiasme pour entrer dans une approche beaucoup plus pragmatique.
Selon Forrester, « l’IA va troquer sa couronne pour un casque de chantier ».
Le moteur principal de l’éclatement de cette bulle IA viendrait du fossé qui se creuse entre les promesses, souvent démesurées, des vendeurs et le retour sur investissement (ROI) réel que les entreprises mesurent (ou plutôt qu’elles peinent à mesurer).
Forrester note par exemple que seulement 15 % des décideurs auraient vu une amélioration de leur EBITDA (résultat brut d’exploitation) grâce à l’IA sur les 12 derniers mois. Autre chiffre frappant, moins d’un tiers arriveraient à relier directement la valeur créée par leur projet IA à des changements concrets dans leur compte de résultat.
Dans le même temps, les attentes restent fortes : 85 % des dirigeants (C-level) attendent un ROI positif, et en moins de 3 ans.
C’est ce décalage entre l’attente de résultats rapides et tangibles, et la réalité du terrain qui créerait une tension. Tension qui, pour Forrester, va devenir intenable en 2026.
L’arrivée du CFO
Conséquence directe, Forrester anticipe que les entreprises vont reporter 25 % de leurs dépenses IA prévues pour 2026 vers 2027.
Autre conséquence : l’implication beaucoup plus forte des directeurs financiers (CFO) dans la validation de ces investissements. Or, toujours d’après Forrester, l’arrivée des CFO dans la boucle annonce la fin des PoC à répétition et un ralentissement des mises en production – des productions qui se concentreront sur les business case vraiment solides.
Côté fournisseurs, ce ralentissement devrait entraîner une baisse de la demande, et donc une sous-utilisation de leurs infrastructures. En répercussion, Forrester entrevoit une guerre des prix, avec des rabais significatifs, et des engagements contractuels surdimensionnés pour essayer de sécuriser des revenus et de remplir les capacités des éditeurs… Ce qui pourrait être une opportunité pour les acheteurs, note Forrester.
Mais cette baisse des coûts, si elle a bien lieu, ne suffira pas à éviter un changement d’approche des entreprises. L’impératif est désormais de mesurer l’impact des projets, insiste Forrester. Que ce soit sur les revenus (top line) ou sur la réduction des coûts (bottom line).
Forrester parle également d’une IT « haute performance », qui repose sur des données de qualité, sur des plateformes technologiques flexibles et évolutives, et last but not least, sur une bonne gouvernance.
Forrester prédit par exemple que 60 % des entreprises du Fortune 100 auront nommé un responsable dédié à la gouvernance de l’IA d’ici l’année prochaine. Des entreprises pionnières comme Sony, Bank of America ou UBS ont déjà créé ce type de postes.
Les DSI au secours des projets IA des métiers
Le recentrage sur la valeur de l’IA devrait avoir à un impact sur le rôle des DSI.
Les budgets IT – tirés par l’IA, le cloud et la cybersécurité – augmentent souvent plus vite que l’inflation, voire que le chiffre d’affaires. Or, Forrester insiste : un tiers seulement des entreprises arriveraient à cartographier clairement quels services IT soutiennent quelles capacités métiers précises. Ce manque de transparence ne sera plus toléré et cette exigence incombera en grande partie au DSI
Une des solutions sera d’adopter des frameworks comme TBM (Technology Business Management), ou des approches comme le FinOps, et de cartographier les usages et les outils. Ironie de l’histoire, l’IA pourrait aider à faire cette cartographie… de l’IA.
Une autre conséquence du recentrage sur la valeur, selon Forrester, est que les responsables IT vont devoir reprendre des initiatives qui ont mal tourné, et qui ont été lancées par d’autres. Un quart des DSI devraient ainsi sauver des projets IA menés par les métiers.
2026 devrait donc être l’année où le besoin de leadership technique (pour la gouvernance, la qualité des données, l’intégration, l’expérience utilisateur, le contrôle des résultats des IA) va devenir criant. Forrester évalue que, aujourd’hui, 39 % des DSI et des CTO pilotent la stratégie technique IA, mais seulement 21 % la stratégie business. Ces chiffres devraient doubler l’année prochaine.
Les recommandations de Forrester pour l’IA en 2026
Le manque de « IA litteracy » (culture de l’IA) est cité comme une barrière par 21 % des décideurs.
Forrester recommande donc aux responsables IT de ne pas attendre d’être appelés au secours, mais d’agir en renforçant dès aujourd’hui la gouvernance IA, en mettant en place des processus pour évaluer la pertinence et la faisabilité des cas d’usage et en s’assurant que les stratégies de grounding des agents IA (ancrer les agents dans les données et les bases de connaissances de l’entreprise) sont bien prêtes.
Une autre recommandation porte sur la formation. Le manque de « IA litteracy » (culture de l’IA) est cité comme une barrière par 21 % des décideurs.
En 2026, 30 % des grandes entreprises devraient rendre la formation à l’IA obligatoire. Le but est d’en accélérer l’adoption, mais aussi de rendre plus efficace l’utilisation de ces outils tout en en minimisant les risques (biais, hallucination, etc.).
Sur ce point Forrester recommande de nouer des partenariats. Et, là encore, de définir des indicateurs clairs pour mesurer l’impact de ces formations sur l’acculturation, sur l’adoption et sur la performance.
Du « dompteur » au « gardien », les compétences chamboulées par l’IA
Forrester anticipe par exemple une réduction de 25 % des effectifs dans les équipes data engineers, data scientists, data analysts.
Enfin, Forrester invite à adapter les stratégies RH pour anticiper l’intégration des agents IA, qui vont remodeler des pans entiers de compétences – notamment dans la data. Forrester anticipe par exemple une réduction de 25 % des effectifs dans ces équipes (data engineers, data scientists, data analysts). Le cabinet illustre son propos avec une comparaison imagée. Les profils passeront de dompteurs de données (data wranglers), qui préparent la donnée brute, à gardiens d’agents (agents rustlers). Ces gardiens manipuleront moins les données : ils définiront les objectifs des agents IA, superviseront leur travail, valideront la qualité et la pertinence de leurs résultats et ils orchestreront leur collaboration pour résoudre des problèmes métiers complexes.
Bref, 2026 s’annonce comme une année de défis, mais aussi d’opportunités pour les DSI. Ce que Forrester résume dans une formule : « pain & gain ».
L’Europe à la traîne et pas souveraine
En Europe, l’usage quotidien de la GenAI par le grand public devrait doubler en 2026, mais il restera à la traîne dans les entreprises (10 % de cas d’usage en moins par rapport aux entreprises américaines).
Quant à la souveraineté européenne, Forrester n’y croit pas. Aucune entreprise européenne ne se détournera des hyperscalers, à court ou moyen terme, même malgré l’intérêt politique stratégique d’une telle démarche, tranche le cabinet.
Ce qui ne l’empêche pas de préconiser une gestion active des risques géopolitiques en cartographiant plus finement les dépendances IT.
Pour approfondir sur Data Sciences, Machine Learning, Deep Learning, LLM