L'état du monde IT : SSII, l'année de tous les dangers

Pression sur les prix, effets déflationnistes de l'offshore, décroissance rapide de l'activité : l'année 2009 restera, à l'instar de 2001, comme une année très difficile pour les SSII. Et pour les informaticiens qu'elles emploient : le secteur ayant probablement détruit près de 10 000 emplois nets sur l'année. Et le crû 2010 s'annonce à peine moins aigre.

En fin d'année 2008, alors que la crise financière s'approfondissait, les dirigeants de SSII multipliaient les interventions visant à expliquer que cette crise ne ressemblait en rien à celle du début des années 2000. Message clef, copieusement relayé par le Syntec Informatique (chambre patronale des SSII et éditeurs) : l'informatique est devenue trop cruciale dans les organisations pour que ce budget soit, cette fois, brutalement sacrifié.

Retrospectivement, ces affirmations étaient à la fois vraies et fausses. De facto, jusqu'à la fin du premier trimestre 2009, le chiffre d'affaires des principales SSII françaises a fait preuve d'une étonnante résistance compte tenu de la gravité du contexte économique. Avant de décrocher brutalement au printemps, montrant les limites des discours des dirigeants des services. En témoigne par exemple l'évolution de Capgemini, qui après avoir vu son chiffre d'affaires reculer de 2,2 % au premier semestre, a encaissé une décroissance de 9 % au troisième trimestre. Même évolution pour Atos-Origin, dans des proportions toutefois moindres : le recul de l'activité passe ainsi de 2,4 % au premier semestre à 5,6 %.

Déjà des éclopés de la crise
Si les grandes SSII internationales sont parvenues à défendre leurs marges, d'autres acteurs plus petits sont eux en grande, voire en très grande difficulté au sortir de cette année 2009. Ares, un des fleurons des services hexagonaux, n'est plus que l'ombre de lui-même. Sortie exsangue de sa procédure de sauvegarde, la SSII peine toujours à stabiliser son activité. Mêmes inquiétudes pour Valtech, sévèrement secoué par l'implosion de ses activités aux Etats-Unis. Malgré un baroud d'honneur, la direction de la SSII n'a pu résister à une OPA hostile de la holding financière belge SiegCo. D'autres poids moyens des services traversent eux aussi un trou d'air, comme Business & Décision qui voit son activité reculer brutalement depuis le printemps ou Team Partners affecté par les affres de son marché historique, la presse. D'autres acteurs plus importants, comme GFI et Groupe Open, mènent eux une transformation de leur activité dans un contexte bien défavorable.

Après s'être longtemps accroché à l'idée d'une année 2009 étale, Syntec Informatique a d'ailleurs rendu les armes en novembre, estimant que cette année à oublier se traduirait finalement par une décroissance de 2,5 % du marché des services. Avec des reculs sévères pour l'intégration et le conseil, et, pour seule consolation, la légère croissance de l'infogérance (TMA et, dans une moindre mesure, dans les infrastructures).

Pression sur les prix : un point de croissance évaporé

Alors que s'est-il passé entre les prophéties rassurantes et ces reculs impressionnants des résultats trimestriels ? Certes, les DSI n'ont pas coupé brutalement dans leurs dépenses - contrairement à ce qu'ils avaient eu tendance à faire début 2000 -, mais ils ont engagé une vaste réflexion budgétaire : projets abandonnés car non prioritaires, massification des prestations, externalisations. Dans le cadre d'une étude pour le Cigref (Club informatique des grandes entreprises françaises) réalisée par Capgemini Consulting, 82 % des 490 DSI interrogés dans le monde ont mené un plan de réduction des coûts. Principal levier actionné : la révision des contrats fournisseurs (68 %). En France, les deux contrats d'infogérance signés cette année par SFR (gestion des services applicatifs et infrastructures) en sont l'illustration : dans chacun de ces deux pans de son IT, l'opérateur a obtenu 10 % de réduction des coûts... sur chacune des quatre années, la durée des deux contrats ! Pour le Syntec Informatique, les très fortes pressions sur les prix, surtout dans l'intégration et le conseil, ont coûté environ un point de croissance au secteur. En novembre, 40 % des dirigeants de SSII et de sociétés de conseil en technologies affirmaient avoir été confrontés à ce phénomène de baisse des prix... contre 4 % un an plus tôt.

Tout pour les marges

Dans ce contexte, les grandes SSII se sont avant tout concentrées sur la protection de leurs marges, avec un certain succès. Malgré la sévérité de la décroissance, Capgemini a ainsi maintenu son objectif de marge annuel (aux environs de 7 %). Idem pour Atos-Origin qui n'a pas dévié sur ce qui était l'objectif numéro un du nouveau Pdg de la SSII, l'ex-ministre Thierry Breton : le relèvement de la marge opérationnelle qui doit passer de 4,8 % en 2008 à entre 5,3 et 5,8 %. Plus spectaculaire encore, le cas de la SSII américaine Accenture qui continue à améliorer ses marges au troisième trimestre tout en enregistrant une glissade de 12 % de son chiffre d'affaires ! Une décorrélation entre les évolutions de la marge et du chiffre d'affaires qui souligne l'importance des efforts de réduction des coûts menés en interne par les SSII : gel des salaires, recrutements bloqués, efforts de productivité et, bien sûr, recours à l'offshore.

Si la délocalisation des activités de back-office n'a pas explosé dans les chiffres (avec un poids de 4 % du marché selon Syntec Informatique, et plutôt entre 6 et 7 % selon le cabinet Pierre Audoin Consultants), ces valeurs brutes masquent deux phénomènes remodelant en profondeur le marché. D'abord, chez les grands comptes, l'offshore apparaît clairement dans une bonne partie des appels d'offres (dans la maintenance et le développement surtout), utilisé comme une arme de réduction du coût global d'un projet par les donneurs d'ordre. Ensuite, les 4, 5, 6 ou 7 % du marché partis à l'offshore masquent, du fait des écarts de salaires, une proportion bien supérieure d'effectifs indiens, d'Europe de l'Est ou du Maghreb. Globalement, entre 10 et 15 %. Déjà plus significatif, d'autant que ces effectifs sont concentrés sur les projets des grands comptes et dans l'applicatif.

Entre 7 000 et 10 000 emplois détruits en 2009

En dehors des effets déflationnistes de l'offshore, accentuant encore la décroissance du marché (chez Cap, le prix moyen de la journée dans la branche intégration est ainsi passé de 497 à 464 euros entre le second et le troisième trimestre 2009), le transfert d'activités dans les pays low cost - couplé à l'atonie de la demande - a aussi des effets sur l'emploi. Cap a ainsi supprimé 1 230 postes dans l'Hexagone depuis le début de l'année. Atos-Origin s'est allégé de 2 000 personnes dans le même temps. Pendant que les SSII dégraissent dans les pays industrialisés, elles continuent à recruter dans les pays à bas coûts (souvent un peu moins vite qu'anticipé en 2008 toutefois). Au troisième trimestre, l'Inde est ainsi devenue le premier pays de Capgemini en terme d'effectifs, devant l'Hexagone. Symbolique.

Au final, selon les chiffres du ministère de l'Emploi, plus de 6 % des informaticiens étaient au chômage (avec près de 30 000 professionnels sans emploi) en octobre. Si on reste encore loin du pic de 48 000 informaticiens au chômage atteint en octobre 2003, les rangs des chômeurs devraient encore grossir pendant de longs mois, tous les analystes prévoyant un début d'année 2010 dans la lignée de 2009 suivi d'une reprise molle. Syntec Informatique lui-même, pourtant enclin à minimiser les chiffres qui fâchent, reconnaît que le secteur, qui employait 290 000 personnes en 2008, détruira entre 7 000 et 10 000 postes cette année. Avec un crû 2010 que le syndicat prévoit encore bien aigre (croissance comprise entre 0 et 2 %) et des donneurs d'ordre en train d'apprivoiser graduellement l'offshore, il apparaît peu probable que l'industrie des services parviennent à inverser la tendance en matière d'emploi l'année prochaine.

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